14 Mars 2012
Entre 1940 et 1944, sur 40 millions de Français, 4 millions de dénonciations écrites et signées ont été recensées. Sur ordre des Allemands mais aussi du gouvernement de Vichy, les Français ont massivement donné d'autres Français : juifs, francs-maçons, communistes, résistants ou encore réfractaires du S.T.O. Souvent sous l'alibi idéologique se cachent des rivalités, des jalousies, des convoitises... Ces lettres ou ces coups de fil avaient pour conséquence un séjour à la Gestapo, un départ en camp de déportation, voire d'extermination.
Dna sun documentaire diffusé en première partie de soirée ce mercredi sur France 3, tous les instruments de la propagande allemande et vichyste seront évoqués, dont la reconstitution d'une émission de radio quotidienne consacrée à la délation. Des témoins viendront raconter comment et pourquoi eux-mêmes ou un membre de leur famille se sont prêtés à un tel acte aux conséquences souvent bien tragiques.
Auteur : David Korn-Brzoza.
Ecrit par Laurent Joly et David Korn-Brzoza.
David Korn-Brzoza : "Ce qui est terrible, c’est que la délation a été encouragée par le pouvoir. Le régime de Vichy, d’extrême droite, a besoin d’asseoir son autorité, de connaître ses opposants, et va donc encourager les gens à dénoncer. De la même manière, les troupes d’occupation allemandes en France ont besoin de savoir qui sont, dans chaque village, dans chaque ville, les opposants les plus virulents. Les personnes qui dénoncent commencent parfois leurs lettres par : « Étant bon citoyen, je me sens le devoir de vous signaler… ». De nombreux délateurs signent leurs lettres en espérant un retour bénéfique, positif, une récompense ou une sorte de reconnaissance".
A propos du nombre exact de lettres de délation envoyées pendant la guerre, et le pourcentage de lettres anonymes, c'est selon David Korn-Brzoza une énigme qui demeure, et qui demeurera pour toujours. "Dès qu’un chiffre se veut un peu trop précis, c’est qu’il ment. Il y a eu des centaines de milliers de lettres, peut-être des millions, mais il est impossible de chiffrer, parce que les lettres ont été envoyées à toutes les administrations : mairies, préfectures, Gestapo, autorités politiques… Toutes ces lettres sont dispersées dans de multiples fonds d’archives. De nombreuses lettres ont par ailleurs été détruites, par des postiers résistants, parfois même par les Allemands, qui n’arrivaient plus à suivre tellement ils en recevaient… Quant aux lettres anonymes, on a remarqué qu’elles étaient plutôt issues des milieux les plus défavorisés, alors que les lettres signées provenaient plutôt des gens des classes supérieures. Les médecins, avocats, architectes signaient volontiers leurs lettres, alors que les chômeurs, les artisans, avaient tendance à garder l’anonymat (...).
Le pouvoir en place, qui voulait juste asseoir son autorité, juste savoir qui étaient les opposants, s’est vu enseveli sous une masse de dénonciations. C’est propre à la délation : une fois amorcée, on ne peut plus l’arrêter. Ça fonctionne d’une manière souvent pernicieuse : les gens commencent à dénoncer les opposants, mais vont aussi se servir de l’occupation allemande pour régler leurs comptes, dénoncer un voisin dont le fils n’est pas parti au STO, un mari infidèle… Il est plus facile d’envoyer une lettre de délation pour dénoncer son épicier qui vous a mal servi et que vous n'aimez pas depuis des années que de l’attaquer en justice ; plus facile de se débarrasser de sa maîtresse ou de sa femme en envoyant une lettre de délation que d’entamer une procédure de divorce. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque les Français sont brisés, l’armée française s’est fait balayer par l’armée allemande, Pétain a demandé l’armistice. Une pénurie terrible s’abat sur le pays, les Allemands réquisitionnent à tour de bras les matières premières, la nourriture. Pour les Français, la délation est un moyen comme un autre de s’en sortir, malheureusement, c’est une vanne qui s’ouvre et qui ne se refermera plus jusqu’à la fin de la guerre. ". (Propos recueillis par Stéphanie Thonnet)
Crédit photo © Programme 33.
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