16 Avril 2013
11 juin 1994 : Emilie, âgée de 9 ans, décède. Du cyanure est retrouvé en fortes quantités dans un médicament pour soigner sa bronchite. C'est le début de l'affaire de la Josacine empoisonnée. Un homme est arrêté : Jean-Marc Deperrois. En 1997, il est condamné à 20 ans de prison. Il est libéré après 12 ans de détention. Il continue aujourd'hui encore de clamer son innocence.
Vincent Maillard, journaliste présent tout au long du procès, retrace l'enquête dans un documentaire proposé ce mardi à 22h50 sur France 2.
Vincent Maillard : "En 1997, à la cour d'assises de Rouen, j'ai vu un homme perdre connaissance à l'énoncé d'un verdict qui devait l'envoyer en prison pour vingt ans. A l'issue du procès, nous étions pourtant nombreux à penser qu'il serait acquitté, au bénéfice du doute. J'étais alors journaliste reporter d'images pour la rédaction de France 2 et je couvrais ce procès avec le chroniqueur judiciaire Dominique Verdheillan.
L'affaire avait défrayé la chronique sous le nom de "l'affaire de la Josacine empoisonnée". Trois ans auparavant, une petite fille était décédée d'une intoxication au cyanure.
Au terme du procès, Jean-Marc Deperrois a été condamné pour meurtre avec préméditation, la justice ayant considéré qu'il avait versé du cyanure dans un flacon de Josacine dans le but de se débarrasser du mari de sa maîtresse, Sylvie Tocqueville. Or, le médicament appartenait à une petite fille, gardée pour le week-end par le couple Tocqueville.
Quinze ans plus tard, cette affaire n'a pas cessé de me hanter. Aujourd'hui Jean-Marc Deperrois a été libéré et ce film est le récit de mon retour sur cette affaire.
Le film, bien qu'il expose quelques éléments nouveaux, n'est pas un film d'enquête. Il veut soulever les deux questions lancinantes que cette histoire ne cesse de me poser: D'une part, la justice a-t-elle fonctionné correctement ? Rappelons qu'en 1997, il n'existait pas d'appel pour les procès en assises.
D'autre part, les medias, la presse, les journalistes – dont j'étais – ont-ils, comme souvent dans ces cas d'emballements médiatiques, amplifié, voire provoqué un éventuel dysfonctionnement dans la machine judiciaire?
« Une erreur judicaire, c'est toujours plus excitant, mais là non, vraiment, il n'y a pas de place pour le doute », cette phrase, je l'ai entendue dans la bouche de plusieurs de mes confrères, dont très peu pourtant ont lu la totalité du dossier. Poser la question de la culpabilité, donc de l'erreur judicaire potentielle, c'est postuler à la conquête d'une espèce de graal journalistique, que seul Zola, pour l'éternité, détiendrait. Cet argument intimidant, face à une affaire tellement médiatisée, rend tout questionnement suspect, intéressé, calculé. Ce n'est pas mon cas. Cela n'a jamais été mon ambition. Mais ayant lu la totalité du dossier, mon doute est devenu plus aigu encore. Le film ne prétend pas détenir LA vérité, il relate simplement les questionnements qui n’ont cessé de m’habiter depuis le jugement rendu.
Néanmoins, aller au bout d'une telle histoire oblige nécessairement à effectuer une sorte de "double prise de recul" par rapport au métier de journaliste. Que ce soit en termes d'enquête ou en termes de réflexion.
En terme purement journalistique, ce "saut" exige un investissement personnel extrêmement important pour qui prétend mener une véritable contre-enquête. Ce travail a été notamment accompli par Jean-Michel Dumay, auteur de "Le poison du doute" auquel ce film doit beaucoup.
En terme de réflexion, le "saut qualitatif", pour ce qui me concerne, résulte du passage du travail journalistique au film documentaire. Cette réflexion se nourrit essentiellement de la rencontre physique avec les différents protagonistes de l'affaire, dont nombre d'entre eux ont refusé de s'exprimer devant la caméra. Ces rencontres, comme toujours, et quoi qu'on en dise, impliquent des réactions empathiques qui éloignent du journalisme. Il s'agit alors d'assumer la part subjective de ce doute qui me taraude depuis si longtemps. Cette subjectivité est le miroir de "l'intime conviction" du juré, terme incertain qui, au fil d'une plongée dans le dossier et des entretiens, est ici revendiquée pour ce qu'elle est: à la fois extrêmement puissante, mais définitivement fragile.
Je ne suis pas dépositaire d'une quelconque vérité. Seule la justice a le pouvoir d'exprimer son "intime conviction", au nom de tous. C'est pourquoi cet homme qui s'écroulait dans son box il y a quinze ans, fait aujourd'hui encore tout ce qui est en son pouvoir pour faire entendre sa voix, sa version des faits et, surtout, obtenir un nouveau procès.."
Un film inédit écrit et réalisé par Vincent Maillard.
Crédit photo © DR (capture vidéo)
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