Bernard Pivot démonté contre Jean Jacques Aillagon...

 

Erik Orsenna et Bernard Pivot ont écrit une tribune dans Le Monde en milieu de semaine. Avec un peu de retard, voici la retranscription de ce papier fustigeant Jean Jacques Aillagon et intitulé "Jean Jacques Aillagon saisi par le démon de l'Audimat" . C'est sanglant :

 

 

 

"Vive le printemps ! Et vive la langue française ! Cette année, on va les fêter ensemble. Le Salon du livre de Paris invite cinquante écrivains francophones venus des cinq continents. Le même jour s'ouvre les Francofffonies, avec trois "f", le Festival francophone en France : 2 000 artistes, 400 manifestations dans 120 villes...

Alors pourquoi faut-il qu'au même moment la chaîne TV5 Monde baisse pavillon et s'éloigne à grands pas de sa mission ?

Le 6 janvier, France 2 diffusait la dernière émission de "Double je", un florilège des 37 émissions précédentes, une sélection de témoignages et réflexions de femmes et d'hommes de tous pays : Allemagne, Egypte, Brésil, Etats-Unis, Suède, Mali, Grande-Bretagne, Portugal, Chine, Italie, etc., de toutes professions culturelles : écrivains, musiciens, chanteurs, architectes, comédiens, metteurs en scène, enseignants, etc. Tous ô combien différents, mais avec un commun dénominateur : à leur langue et à leur culture originelles, ils ont ajouté la langue et la culture françaises. Certains les ont même enrichies de leurs oeuvres.

En voilà une émission pour TV5 ! N'est-ce pas la chaîne de la francophonie ? Le média universel des locuteurs de la langue de Molière, Rousseau, Simenon, Senghor, Césaire, Gaston Miron ?

A l'automne 2001, Marc Tessier, président de France Télévisions, et Serge Adda, président de TV5, s'associèrent pour financer "Double je". Pendant quatre ans, TV5 mit l'émission à l'antenne quelques jours après France 2. Une exception cependant : la 38e et dernière. TV5, devenue TV5 Monde, ne l'a pas diffusée et ne la diffusera pas. Jean-Jacques Aillagon, ayant succédé au regretté Serge Adda à la présidence de la chaîne francophone, a lancé, depuis le 1er janvier 2006, une nouvelle grille de programmes où la dernière de "Double je" n'a pu trouver la moindre place. La raison en est évidemment que cette émission n'intéresse pas Jean-Jacques Aillagon et ses collaborateurs. Trop culturel, trop sérieux, pas assez jeune, pas assez ludique.

De même une émission des "Trophées de la langue française" - à sa création, elle reçut des crédits du ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon ! -, enregistrée à Athènes et à Salonique, avec des Grecs francophones, a d'abord été écartée de l'antenne. Sous la pression de l'ambassade de France en Grèce, elle sera finalement diffusée en avril.

"Vingt-quatre heures", l'émission nomade de Frédéric Mitterrand dans de grandes villes du monde, a disparu. Surtout, elle n'a pas été remplacée.

Voici, en effet, le plus grave : ce n'est pas que des émissions culturelles, ambitieuses, disparaissent après de bons et loyaux services - aucune n'est propriétaire de l'antenne -, c'est qu'on n'ait nulle envie à la direction de TV5 Monde d'investir dans des émissions spécifiques de la chaîne, de même nature et de même exigence. Jean-Jacques Aillagon et ses collaborateurs ont été saisis par le démon de l'Audimat : face à la concurrence annoncée de la future chaîne CFII, ils veulent augmenter coûte que coûte la part d'audience de TV5 Monde en repositionnant la chaîne sur l'information et en plaçant aux meilleures heures la fiction et les émissions les plus populaires en provenance de France 2 et de France 3. Bref, TV5 Monde donne de plus en plus de place à des journaux, les saupoudre d'actualité culturelle, bétonne ses grilles et renonce à une originale et ambitieuse politique culturelle francophone. Cela ne semble émouvoir ni le ministre des affaires étrangères, ni le ministre de la culture, ni le président de l'Organisation internationale de la francophonie.

Aurons-nous la cruauté de rappeler les remontrances, admonestations et menaces d'un nouveau ministre de la culture adressées en 2002 à Marc Tessier, coupable de ne pas faire assez de place à la culture sur les chaînes du service public ou de la diffuser trop tard ? Jean-Jacques Aillagon était cet intraitable procureur.

Il se retire de la présidence de TV5 Monde moins d'un an après y avoir été porté à sa demande. Il part en se flattant d'avoir "accompli du très bon boulot" , alors qu'en si peu de temps il a banalisé et un peu plus "parisianisé" la chaîne des pays francophones."

 

ÉRIK ORSENNA, Ecrivain  et BERNARD PIVOT, Journaliste.
 
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M
Aillagon a fait dans carrière bien plus que Pivot et Orsenna réuni pour la promotion de la Culture. Pivot est surtout aigri de ne plus susciter quelconque intérêt de la part des programmateurs et responsables audiovisuels. D'autres ont remaquablement repris la relève.
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L
Pour moi, Aillagon a toujours été une imposture . Plus près de l'argent que de la culture (voir l'affaire de l'ile Seguin) . Franchement, je ne comprends pas qu'on le considère autant dans les médias !
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