Il reste peut-être un fond de confiture…
Vous connaissez le dicton: « la culture c’est comme la confiture: moins on en a, plus on l’étale ». Si on veut filer la métaphore, on peut alors dire que
la télé est un pot de confiture géant et quasiment vide. C’est un débat qui revient régulièrement sur le tapis: pas assez de programmes culturels sur le petit écran.
D’ailleurs notre bien aimé président vient de demander à la direction de France Télévisions de faire un effort à ce sujet. Il semble avoir d’ores et déjà avoir été entendu : Olivier
Minne, qui apparaît à l’écran aussi naturel qu’un visage botoxisé fixé sur un prompteur et faisant face à un public conditionné, va animer dés la rentrée une nouvelle quotidienne sur la
case apocalyptique de 18 Heures sur France 2. Il s’agira apparemment de dénicher de nouveaux talents.
Je ne vais pas préjuger du résultat avant même que ça commence, mais il faut bien avouer que le titre fait très « service public qui se donne bonne conscience en trouvant des références
culturelles pour intituler des émissions de merde »: les 60 secondes du Colisée. L’année dernière
déjà, France 2 avait fait preuve d’un grand sens de l’audace sur la même case en mettant à l’antenne « un monde presque parfait »,
avec le même Olivier Minne aux commandes, et avec le même producteur: Endemol, qui se retrouvait du coup avec deux quotidiennes à la même heure (la Star académy étant diffusé parallèlement sur
TF1 à la rentrée dernière).
Je dois dire qu’un de mes grands regrets reste indéniablement de ne pas avoir fait de billet à l’époque pour vomir sur ce déchet audiovisuel : réaction logique quand une chaîne publique
diffuse un programme vide, inintéressant, aseptisé, artificiel tout en ayant l’hypocrisie suprême de chercher un alibi culturel pour le défendre.
Déjà à l’époque, France 2 avait eu le culot de présenter cette banale émission d’archives vues et revues entrecoupées d’interventions pathétiques d’un clone d’Arthur (chez Endemol, la formation
accélérée de l’animateur est comprise dans le coût de production) comme « une plongée culturelle dans le patrimoine audiovisuel français ». Essayer de nous faire croire qu’Endemol
pouvait produire un bon programme, c’était de toute façon un peu gros. Il ne reste plus qu’à attendre que France télévisions ait les fesses autre part qu’entre deux chaises: soit on privatise,
soit on se met à faire de la vraie télé publique, sans pub et avec une redevance plus élevée.
Le véritable problème se situe de toutes les façons ailleurs: la mentalité française veut que l’on oppose systématiquement le culturel au populaire, le culturel
étant le moins attractif possible tandis que le populaire est le moins intelligent possible. Tant qu’on ne changera pas cette façon de penser, il sera impossible d’espérer avoir de la bonne télé
en France.
Aujourd’hui, on a d’un coté du divertissement débile et de l’autre coté des alibis culturels mous du genou, qui n‘ont même pas l‘excuse d‘être pointus. Bien sûr que oui, des émissions de
divertissement intelligentes, ça peut exister. A ce que je sache, une émission comme « Les Enfants du rock » était éminemment populaire
tout en étant très créative. L’émission de divertissement la mieux foutue au monde, Saturday Night Live, ne prend certainement pas ses
téléspectateurs pour des cons et établit au contraire une relation de complicité avec eux. Ce n’est pas demain la veille qu’on aura un SNL like en France.
Pas seulement parce que ça coûte cher (c’est l’excuse -bidon- qui a été donnée pour justifier l’arrêt de l’éphémère mais très bon Samedi Soir En
Direct), mais surtout parce que, pour les technocrates débiles qui décident des programmes qu’on nous sert, il est inconcevable d’imaginer que le téléspectateur lambda ne soit pas
un idiot. C’est vrai que nous n’avons pas tous le même environnement culturel, mais pour qui que ce soit, chaque jour qui passe est une goutte de confiture de plus dans un pot que personne ne
pourra de toute manière jamais remplir.
Pour bien des gens, la télévision est un socle de constitution culturelle. Or, aujourd’hui, elle ne propose que du vide, du superficiel. Elle fabrique une génération d’incultes, dont j’ai le
malheur de faire partie. Ce qui est grave, ce n’est pas que la télé française propose de mauvais programmes (les États-Unis le font aussi, et de bien pire que les nôtres), c’est qu’au fond elle
ne propose rien du tout. C’est juste du vide déguisé en contenu, comme dans la mousse au chocolat. Ce n’est même pas consternant, c’est juste insignifiant, ça n’a aucun intérêt, c’est oublié
aussi vite que c’est regardé: voilà une définition parfaite de ce qu’est le contraire de la culture. Puisque la France se donne tant de mal pour saborder elle-même son exception culturelle, il ne
nous reste plus qu’à faire comme tout le monde: on s’en remet à la culture mondialisée importée des Etats-Unis. On ne pourra s’en prendre qu’à nous-même.