19 Juillet 2011
(Non, cette photo n’est pas glauque. C’est juste ça, l’Esprit Canal en 2011)
Une fois n’est pas coutume (ou comme d’habitude ?), je vais commencer ce billet en vous racontant un peu ma vie : si vous êtes en train de lire ces lignes, c’est quasi exclusivement à cause de Canal Plus. D’aussi loin que je me souvienne, depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été absolument fasciné par cette chaine, parce qu’elle me donnait l’impression que la télé n’était pas qu’une boite, et parce qu’elle laissait penser qu’après tout, il existait peut-être des gens heureux de travailler. J’ai littéralement grandi avec Canal, qui m’a accompagné, m’a dorloté, m’a aidé à surmonter des traumatismes aussi violents que la découverte de la non-existence du Père Noël, la rétrogradation de l’OM (mon autre doudou obsessionnel) en Deuxième Division, la chute des Twins Towers de New York, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second Tour de la Présidentielle, et surtout, l’effroyable découverte selon laquelle les filles aussi, ça avait des poils.
Les gamins collectionnent des figurines ou ce genre de conneries ; moi je traquais toutes les informations possibles et imaginables concernant ce truc enthousiasmant : TV+ qui m’a fait m’intéresser à la télé sans doute davantage qu’elle ne le méritait, 90 Minutes qui m’a fait aimer le Grand Reportage et regretter qu’il soit si peu valorisé en France, John Paul Lepers qui m’a montré qu’un journaliste pouvait aussi poser de vraies questions, les éditos de Bruno Gaccio, incisifs mais surtout bien écrits, Radiohead, Nirvana, Oasis, que j’ai entendu pour la première fois de ma vie en live à NPA, l’animation japonaise avec des séries géniales comme Evangelion ou Serial Experiments Lain, des sitcoms haut de gamme comme Spin City ou Seinfeld, le sport traité de manière vraiment pointue et différente, Michael Kael qui me faisait mourir de rire, Philippe Vandel, Les Guignols qui faisaient passer de vrais messages et qui étaient tout aussi pertinents qu'impertinents, avec De Greef et Lescure en marionnettes vedettes, le court métrage traité comme un genre à part entière…Bon, j’arrête l’énumération ici, mais le fait est qu’il y’avait une espèce de constante : dans tous les domaines, ils allaient au fond des choses, en étant les plus pointus, les plus enthousiastes, les plus critiques, bref les plus passionnés, dans une ébullition créative permanente qui dépassait de très loin le simple duo De Caunes/Garcia qui ressort aujourd’hui dans chaque émission d’archives en conserve. Cet esprit avant-gardiste a nourri ma propre curiosité, mes propres envies, et m’a fait développer une espèce de relation affective qui est, j’en suis sûr, un véritable phénomène générationnel.
Le temps a passé, j’ai grandi, j’ai découvert que les poils ce n’était pas si horrible que cela, j’ai fait mon deuil du Père Noël, je suis devenu un gentil petit citoyen vide et solitaire aspirant à consommer, je me suis éloigné de ma télévision, regardant mon décodeur péricliter lentement avec une certaine résignation. Parfois, j’éprouve bien une petite amertume en constatant que la musique live sur Canal c’est désormais Lady Gaga, Tokio Hotel et Justin Bieber, en écoutant les interviews politiques convenues et inutiles de Caroline Roux, en regardant Les Guignols et Stéphane Guillon enfoncer des portes ouvertes avec un manque de subtilité et d’intelligence proprement effroyable, en observant à quel point l’investigation sur Canal est désormais marginale et lisse. En somme, l’expertise de Canal est devenue la beauferie de Pierre Ménes, son impertinence est incarnée par une chronique mièvre, people et superficielle au sein d’une version quotidienne de Vivement Dimanche qui a remplacé Nulle Part Ailleurs : quand on regarde Canal Plus, maintenant, on est complément devant la télé. Mais bon, c’est comme ça. Après tout dans la vie, c’est pareil, ce ne sont pas les enthousiastes qui sont aux commandes, ce sont les procteriens. Il faut s’y faire, et tâcher d’y survivre, en commençant par essayer de ne pas se suicider sur son lieu de travail. Et puis bon, ce n’est que de la télé, n’est ce pas ? Ce truc idiot qui détend suffisamment nos neurones chaque soir pour nous faire oublier le caractère viscéralement insupportable de notre routine étriquée.
« Grâce à un savant mélange de gesticulations faussement pugnaces et de cirage de pompes bien placé, d’ici 2074 je prendrai la place de Michel. Drucker ou Denisot, m’en
fous, c’est pareil. Au pire, je finirai à la tête d’un journal de gauche »
Il y a juste un petit problème. Un truc qui fait que quand même, Canal, ça ne peut pas être la même chose que TF1 ou M6. Que ça ne doit pas nous vendre la vie comme un yaourt, ni nous assommer de promo. Ce truc, un petit détail je vous l’accorde, c’est que Canal Plus est une chaîne (un bouquet de chaînes même) payante, et grassement payée. Que les télés gratuites commerciales nous inondent de merde si elles le souhaitent, pas cool j’ai envie de dire, mais soit. Que la télé publique le fasse, c’est déjà beaucoup plus problématique. Mais alors, qu’ Ariane Massenet m’ordonne, entre deux lancements foireux et trois remarques stupides (exploit surhumain réalisé avec l’aide d’un prompteur), « d’aller acheter le livre de Rachida Dati », ça me donne carrément envie d’être grossier. Si je l’étais, ça donnerait un truc du genre : « Dans la mesure où, en tant qu’abonné, je contribue à ton invraisemblable rémunération, ne t’avise pas de me dire ce que je dois acheter, grognasse ». Heureusement, je suis quelqu’un de fondamentalement gentil et conciliant. Le problème reste néanmoins entier. Pour le résumer de façon à ce que même un vendeur de lessive puisse comprendre, on pourrait poser la question suivante : à force de négliger l’importance de sa valeur ajoutée, une marque dont le positionnement se veut haut de gamme ne risque-t-elle pas de finir par se prendre un violent retour de bâton dans la gueule ? Je veux dire, de la pub à foison (pardon, du « parrainage »), une voix off à la con qui coupe le générique d’une œuvre (pardon, un « coming-next ») dans des tranches cryptées, ça ne choque personne ? A ce rythme là, bientôt, ils diffuseront les épisodes de leurs séries dans le désordre et par pack de 4, comme les voisines du gratuit.
De toute façon ils s’en foot, ils ont le foutent (une contre-pétrie inaudible se cache dans cette phrase). Le sport, par son caractère événementiel est en effet aujourd’hui le programme le mieux adapté à la pay TV. D’où le besoin impérieux de conserver les premiers choix de la Ligue 1. Non parce qu’en étant lucide deux secondes, avec la multiplication de l’offre, légale ou pas, l’avènement d’Internet, et bientôt celui de la télévision connectée qui se passera de diffuseurs et négociera directement avec les ayant-droit , la fiction ne peut plus être sérieusement considérée comme un vecteur primordial d’abonnement. Et ne parlons pas du porno, auquel le premier Kévin de 13 ans peut avoir accès facilement et gratuitement sur la Toile, au grand dam de Christian Vanneste, qui est pourtant la preuve vivante qu’il ne suffit pas de ne pas regarder de porno pour être quelqu’un de respectable. Le challenge à relever, alors qu’ils perdent d’ores et déjà des clients, notamment du fait de la conjoncture économique, est donc celui-ci : faire en sorte que les gens aient envie de s’abonner tout en retenant ceux qui le sont déjà en les faisant se sentir privilégiés, voire en augmentant l’attractivité de leur offre pour accroître le revenu moyen par abonné. Equation difficile, à laquelle quiconque doté de deux sous de bon sens répondrait par un effort sur la valorisation des contenus. Le projet de chaîne gratuite sur la TNT, Canal 20, spot de pub ambulant pour sa grande sœur, répond à cette nécessité, tout comme l’investissement massif réalisé sur la « création originale ».
Le hic la concernant, c’est que globalement, ce n’est pas transcendant ni très différent de ce qu’on voit ailleurs ; mais bon, l’emballage est joli, il y’a des seins, ou des scènes de combat au ralenti, c’est beau et profond comme un film de Luc Besson. C’est normal : Canal, c’est la chaîne du cinéma français, et le cinéma Français, entre autres grâce aux diffuseurs qui le financent, c’est Luc Besson, Kad Mérad, Dany Boon. Que du bonheur ! Et ça doit suffire, puisque l’exigence d’un public modulé par la télé n’est fondamentalement pas très élevée. Certes. Mais ça aurait pu être sympa de tenter une expérience, juste pour voir : pour être attractifs, ne pourraient-ils pas essayer, tout simplement, de…l’être ? A une certaine époque, cette stratégie excentrique marchait plutôt bien. Canal était autrefois une chaîne brillante mais arrogante. Elle n’est désormais plus qu’arrogante. Le plus paradoxal dans cette histoire, c’est qu’à force de se normaliser, Canal Plus se met tout seul en position de grande vulnérabilité, au moment où l’émergence d’une redoutable concurrence s’annonce. Tout à l’heure la World Company d’Apple, demain, des névropathes Qataris qui ont déjà mis un pied dans le football français, et après-demain, sûrement, les fameux Chinois du FBI annoncés de manière prémonitoire par le Guignols. Et alors, Canal hurlera à la défense de l’exception culturelle française. Qu’elle soutient sans relâche. En cédant aux caprices des stars reçues au Grand Journal ? En sapant hyper bien Michel Denisot ? Non, j’ai trouvé : en confiant à Ali Badou et à Ariane Massenet leurs propres émissions dés la saison prochaine. Bingo, la nation est sauvée.
Boodream
Crédit photo Ariane Massenet © Daniel Bardou - Canal+.
Crédit photo Ali Baddou © Pierre-Emmanuel Rastoin - Canal+.
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