Coup de coeur : la web série Le visiteur du futur.

 

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Trois cas de figure se présentent au début de ce billet : soit vous connaissez le Visiteur du Futur, et vous savez donc déjà que cette web-série est une excellente comédie de science-fiction, hyper référencée, burlesque, et assez jubilatoire ; soit vous êtes déjà tombé dessus et cela vous a laissé complètement indifférent, et je ne peux pas y faire grand-chose tant le concept est segmentant. Reste une troisième possibilité : vous ne savez pas encore de quoi je parle. C’est en priorité à vous que s’adresse cette chronique, histoire de vous donner envie de découvrir ce sympathique OVNI geek friendly à mi-chemin entre Doctor Who et The Red Dwarf, servi par une écriture et un ton au demeurant très personnel, ce qui n’est pas le dernier de ses mérites.

 

Vous est-il déjà arrivé regarder une série française à la télé et de vous dire, consterné, que même vous, avec trois bouts de ficelles et une bande de potes, vous pourriez faire un truc mieux foutu ? Eh bien eux, ils l’ont fait. « Eux », c’est la petite équipe de passionnés qui a initié la série. Tout commence il y a un peu plus de deux ans : au printemps 2009, un certain François Descraques, jeune réalisateur de pub à l’origine du blog Frenchnerd, dédié à la création vidéo à tendance drolatique, publie sur Dailymotion le premier épisode d’une saga qui en compte aujourd’hui 36, avant le final de la saison 2 attendu pour septembre prochain. Le projet est difficile à pitcher, car la websérie a connu de nombreuses évolutions progressives, en même temps qu’elle a vu son audience grimper. Au départ, cela se résume à une succession de saynètes loufoques, suivant toujours la même mécanique : le fameux « visiteur » est un type excentrique qui apparait inopinément, par téléportation, pour perturber le quotidien tranquille de Raph, un jeune garçon lambda un peu apathique. A chaque fois, il s’agit d’empêcher la réalisation d’un acte apparemment anodin (boire une bière, manger une pizza, jeter une cannette) en l’alertant sur des répercussions à venir aussi démesurées qu’improbables. L’ensemble est plaisant, drôle, absurde. L’écriture met très vite en place des gimmicks efficaces, tels que le fameux « voilà ce qui va se passer » que le voyageur temporel ne manque jamais de déclamer sur un ton théâtral pour introduire ses récits barrés. Evidemment, le tout grouille de sympathiques références détournées (Lost, Retour Vers le futur, Time Cop, pour ne citer que les plus évidentes).

 

Le risque bien sûr, c’est que l’ensemble devienne répétitif et se mette à tourner en rond. Et c’est précisément pour cela que très vite, François Descraques va s’attacher à véritablement raconter une histoire : introduction de personnages secondaires, format fixe (une dizaine de minutes par épisode), et surtout, narration feuilletonante qui, tout en évitant soigneusement de se prendre au sérieux, instaure de véritables enjeux, confère une véritable structure dramatique à des situations toujours aussi décalées. L’ambition narrative n’a cessé de croitre à tous les niveaux, et aujourd’hui, tout en conservant son coté artisanal et amateur (tout le monde sur le projet, techniciens comme comédiens, est bénévole et les frais techniques sont à la charge de l’équipe), la série a développé une identité forte. En un mot, la série, qui se nourrit initialement d’influences multiples, a su imposer sa patte et faire émerger un univers propre. Si j’étais un marqueteur idiot, si je travaillais à M6, je vous dirais que « Le Visiteur » est devenue une vraie « marque ». Et à en juger par la cohue qu’ils ont provoqué au dernier Comic Con, ou encore le nombre impressionnant de visionnages sur Internet, où une communauté active et prolifique (fan arts, fanfictions, débats enflammés sur les forums, le kit complet quoi) est à l’œuvre, c’est le moins que l’on puisse dire! Pour résumer, il est donc question d’une initiative sympathique de bricolage audiovisuel, d’un résultat de qualité tant dans la forme que sur le fond, et d’une fidélisation allant crescendo. Et pendant ce temps là, tout le monde continue à couvrir de louanges la création originale de Canal Plus, parce qu’ils décrètent eux-mêmes qu’ils mettent à l’antenne des choses novatrices et ambitieuses, le tout à grand coup de millions donnant l’impression d’être dépensés davantage pour valoriser leurs productions que pour veiller à leur qualité réelle.

 

Mais attention, il n’est pas question de faire du « Visiteur du futur » le symbole ou l’étendard de quoi que ce soit. Il est vrai qu’il serait tentant de vous parler des nouvelles écritures permises par Internet, d’évoquer le modèle économique éventuel de ce genre de production, de l’éventualité que la meilleure parade au piratage est peut-être l’émergence de nouvelles écritures au service de nouvelles offres de fictions. Bref, je pourrais vous gaver de banalités 2.0. Il n’en sera rien, tout simplement parce que quand vous regarderez les épisodes, vous ne penserez ni au format, ni au support, ni aux moyens de production. Vous passerez simplement un bon moment et vous en redemandez, sous réserve bien sûr que vous y soyez réceptif, ce qui est bien évidemment aléatoire compte tenu de la spécificité de ce qui vous sera proposé.

 

Parce que oui, je ne vais pas vous mentir, tout cela est assez segmentant. Si vous n’êtes pas familiers des repères qui balisent le truc, le risque que vous n’accrochiez pas existe: ce n’est pas une raison pour ne pas tenter le coup, d’autant que le résultat n’a strictement rien à voir avec la geekerie pointue et restrictive que vous êtes probablement en train d’imaginer. Au contraire, le récit est accessible, et repose sur des procédés et des outils classiques, semblable à ceux que vous avez sûrement l’habitude de rencontrer : rappel en début d’épisode, recours ponctuel au cliffhanger, évolution des intrigues alternant avec des épisodes indépendants. La websérie est conduite comme une grande. Pour en finir avec les aspects formels, notons que la musique tient une place plutôt appréciable, ce qui est à saluer sachant que la démarche n’est pas professionnelle. Les deux génériques d’ouvertures (un par saison) sont excellents (en particulier le premier, reprise vitaminée de REM qui fout une pêche terrible) et la saison 2 est jonchée de morceaux des Lovely Rita, un jeune groupe plutôt sympathique qui s’était fait connaitre en tant que tribute band des Beatles.

 

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Il est assez compliqué à vrai dire, de vous en dire beaucoup sur la storyline sans vous gâcher le plaisir de la découverte (oui, on dirait que je parle à des ados qui s’apprêtent à regarder leur premier porno, je sais). Je ne rentrerai donc pas dans les détails, mais sachez qu'il y a un véritable fil conducteur dans chaque saison, bien que cela ne soit pas évident de prime abord. Une succession d’arcs narratifs assure une cohésion scénaristique à part entière et si parfois on s’y perd un peu, comme dans toute œuvre de SF qui se respecte, la grande force de la série est qu’elle en joue et qu’elle pratique une autodérision extrêmement agréable. L’un des exemples les plus parlants de cette démarche est un épisode absolument génial de la deuxième saison, au cours duquel Raph a recours à de multiples sauts dans le passé ayant pour seul but de prouver à sa petite copine, avec qui il vient de se disputer, que c’est elle qui était en tort. Le message de l’épisode est littéralement le suivant : « les histoires de voyages dans le temps sont fondamentalement bancales, on sait, et alors ? » . L’écriture n’hésite donc pas à s’adresser très directement au public, allant même, dans l’épisode en question, jusqu’à ironiser sur le fait qu’Internet se prête particulièrement aux critiques et commentaires excessifs, parfois expéditifs. Cette connivence avec l’auditoire, qui a tant de mal à exister à heure actuelle au sein d’un paysage audiovisuel passablement aseptisé par les vendeurs de lessive qui y règnent en maîtres, est certainement l’une des clés de l’engouement que suscite le show, si l’on peut appeler ça comme ça.

 

Dans cet esprit, les personnages sont particulièrement attachants, parce qu’ils sont tous un peu bizarres et ne rentrent pas dans les cases habituelles. Tout cela est rendu possible par des comédiens qui ne sont pas forcément professionnels et parfois pas comédiens du tout d’ailleurs, ce qui est une vraie performance en termes de direction et de mise en scène. Deux personnages surnagent toutefois, et c’est dû, osons ce terme galvaudé, au talent de ceux qui les incarnent : d’abord, bien sûr, le fameux Visiteur, porté par un Florent Dorin dont la débauche d’énergie proche de l’hystérie est assez jubilatoire, et dont la folie permanente rappelle un peu (toutes proportions gardées et si l’on se risque au jeu forcément approximatif des comparaisons) celle d’un Jim Carrey. Et puis il y a le docteur Henri Castafolte, qui est personnellement mon personnage favori, et dont les monologues absurdes et hilarants sont dispensés par l’excellent Slimane-Baptiste Berhoun, pour qui le personnage semble avoir été crée sur mesure. On ressent très nettement, lorsqu’on les regarde tous, à quel point ils s’amusent, au milieu de ce qui reste d’abord le jouet d’une bande de copains qui aiment faire les pitres, mais pour qui la pitrerie est une affaire sérieuse, qui mérite le plus grand soin.

 

On touche manifestement ici à ce qui confère à la série toute sa singularité : elle est le fruit de la passion de ceux qui l’alimentent, et cela donne un supplément d’âme manifeste au résultat obtenu. Alors que les médias traditionnels raisonnent en définissant d’abord les cibles à viser et les objectifs à atteindre avant de créer ou d’importer un format la plupart du temps médiocre supposé s’adapter à ces attentes prédéfinies, Le Visiteur, affranchi de toute considération industrielle, fonctionne selon le cheminement de pensée inverse : il y’a d’abord la volonté de créer des choses, l’ambition de transmettre des messages ou le plaisir de partager des conneries, et c’est à partir de ce matériau là, et au service de celui-ci, qu’il est décidé d’en faire un produit, c’est-à-dire un résultat. Si un jour la nécessaire et souhaitable industrialisation de la fiction audiovisuelle parvient à intégrer cette fondamentale et vitale démarche artistique, alors peut-être verrons de bonnes séries sur les écrans français.

 

Pour terminer ce billet, je vais faire une ultime tentative solennelle, histoire d’essayer de convaincre ceux qui seraient encore réticents après l’avoir lu : je n’aime rien. Je veux dire, à un niveau global. L’enthousiasme est un sentiment que j’éprouve tellement peu qu’il me perturbe à un niveau moléculaire. Je suis aigri de tout mon être. J’ai aimé Le Visiteur du Futur.

 

Boodream.

 

Retrouvez les 36 épisodes en ligne sur ce site officiel. Et sur ce lien, description des personnages.

 

Vidéos ci-dessous, l'épisode 1 de la saison 1 puis la première partie de l'épisode 1 de la saison 2: 

 

 

 

 

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Y
<br /> <br /> je viens de m'en faire quelques uns, c'est excellent, j'adore. Merci pour la découverte. Et oui, ça me fait plus rire que la série pour ado au cerveau lessivé par Coca.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Que dire après avoir vu cet article à par WOUHAAAAA !!<br /> <br /> <br /> Je connais bien sur cette web série qui est de loin la meilleure de toute mais c'est si bien écrit !!<br /> <br /> <br /> Je dis un grand BRAVO !!<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Content d'avoir donné envie à certains, et d'avoir fait plaisir à d'autres :)<br /> <br /> <br /> Pour le traditionnel classement d'Amaury, je ne sais pas ce qu'il en est. Ca serait dommage qu'on soit privé de son classement; peut-être est-ce simplement décalé dans le temps. Il y a quelques<br /> séries dont j'aimerais parler ici, mais j'attends son retour ainsi que celui de l'équipe du blog pour savoir ce qu'il en est.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Jamais vu. L'article m'a donné envie, j'ai visionné les 5 premiers épisodes, c'est très bon !!! <br /> <br /> <br /> Merci pour la découverte ! (je ne peux m'empêcher de penser, comme c'est dans l'actu, que ce genre de web-séries humoristiques vaut bien 50 Soda...)<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Fidèle parmi les fidèles de tvnews, heureux de voir ce coup de projo sur Le visiteur du futur. Je voulais vous proposer un moment, l'an dernier, un papier sur ça, mais comme je suis très loin<br /> d'avoir des qualités à l'écrit, j'ai fait marche arrière.<br /> <br /> <br /> Pensez à visiter la aprtie bmaking of aussi : http://www.levisiteurdufutur.com/bonus.html<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> "sûrement l'un des meilleurs articles sur le Visiteur du Futur que j'ai jamais lu. ça fait chaud au coeur. Merci à l'auteur !"<br /> <br /> <br /> Lu sur http://www.frenchnerd.com/<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Billet tardif sur cette websérie, mais mieux vaut tard...<br /> <br /> <br /> Un de mes préférés, Le maharaja<br /> <br /> <br />  http://www.levisiteurdufutur.com/visiteur-31-episode-6-saison-2-le-maharaja.html<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Greg : j'avais lu une réponse de François à un même commentaire sur le blog. Non hélas. Et c'est faute de temps de l'auteur semble-t-il.<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> tiens en parlant de séries , va t il y avoir le classement des séries comme chaque été <br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Le dernier paragraphe est le meilleur argument qui soit, excellent <br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> A noter aussi qu'ils sont passés de 2 à pratiquement 10 minutes par épisode désormais !<br /> <br /> <br /> +1 avec la suggestion du comm qui précède le mien :)<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Vous parliez régulièrement il y a quelques années des web-séries sur ce blog, dommage que ça ne soit plus vraiment le cas. Pourquoi pas la création d'une rubrique spécifique ?<br /> <br /> <br /> <br />
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