30 Mars 2011
Bertrand Méheut, le président du Groupe Canal Plus, est un homme séduisant, truculent, charismatique. Non, je déconne. Ce qui est vrai par contre, c’est qu’il est à l’origine du gros buzz média du moment. Et attention, pas le genre du « buzz » qui succède quotidiennement aux « clashs » toutes les deux brèves sur les sites d’actu médiatico-people hyper trop cools de la vie. Non, je parle d’une annonce cruciale, déterminante, qui pourrait bouleverser le Paysage Audiovisuel Français de manière substantielle : il s’agit bien entendu de la possible création par la filiale de Vivendi de « Canal 20 » , une chaine gratuite généraliste sur la TNT dés fin 2011, soit une véritable déclaration de guerre à TF1 et à M6. Cette annonce survenue dans une interview accordée au Figaro a suscité énormément de réactions, pour ne pas dire une certaine hystérie. Décryptage.
Tout commence par une « indiscrétion » du quotidien La Tribune qui croit savoir que Canal pourrait s’être décidé à se lancer dans la télé gratuite, au motif que lors de l’acquisition récente de la série « The Event » - qui confirme une propension assez étonnante à miser ces derniers temps sur des séries au final rapidement annulées et/ou moyennes-, la chaine cryptée s’est également adjugée les droits de diffusion en clair. Alors certes, Canal a déjà diffusé des séries en clair par le passé, et pas des moindres : Les Simpson bien sûr, mais aussi Seinfeld, Spin City ou plus récemment 30 Rock et How I met Your Mother. Mais dans le lot, point de dramas, sans doute jugés davantage « premiums » que les sitcoms, à tort soit dit en passant.
L’interview au Figaro est publiée le lendemain de cette fuite, subie selon certains, savamment orchestrée pour d’autres, dont Télérama et surtout Emmanuel Beretta du Point, qui va jusqu’à qualifier Méheut de « Maitre Yoda du PAF », ce qui constitue, - j’aimerais prendre le temps de le souligner - une vanne absolument géniale suscitant en moi une mortelle jalousie, bien qu’elle s’explique probablement par une consommation massive de crack durant la rédaction de l’article en question. Les extrapolations vont bon train, et n’émanent pas que de journalistes : les actions de TF1 et de M6 chutent sans grande logique. En effet, l’existence même de Canal 20 est loin d’être acquise en raison du lobbying de la concurrence et surtout de l’hostilité de Bruxelles à l’attribution aux opérateurs historiques de chaines « bonus » - ironiquement décidée au départ pour faire plaisir à TF1 comme le souligne l’excellent Claude Soula- dont dépend le projet. En outre, et surtout, il faudrait peut-être rappeler aux analystes qui prophétisent déjà un futur leadership écrasant de Canal 20 sur la TNT avant même de savoir précisément à quoi ressemblera la chaine, qu’il existe des raisons d’être disons plus mesuré.
Du vin, du hasch et du vin : c’est le Canal 20 ?
Par exemple, la télévision gratuite et la télévision payante, ce n’est pas le même métier, et le groupe Canal Plus est bien placé pour le savoir : avant de parler d’un objectif de 3 à 7% de part de marché pour Canal 20 comme le font certains journaux, il faudrait peut-être qu’ils soient capables de faire fonctionner correctement Itélé, à la traine et obligée de singer sa concurrente BFM TV sur le créneau pâlot du robinet fadasse à images d’agences, quitte à provoquer des remous internes. Quoique j’exagère, I> a de la personnalité, notamment grâce à la présence régulière à l’antenne d’un intellectuel de très haut niveau, militant pour la peine de mort et estimant, je cite, que le « Front National est un parti républicain » .
Ce qui est frappant surtout, c’est de constater que les réactions un peu rapides suite à l’annonce de Bertrand Méheut négligent en grande partie son élément le plus important : si chaine il y a, elle s’adressera aux CSP+. Ce qui signifie, et c’est une bonne nouvelle à priori, que si succès il y a, il sera davantage qualitatif que quantitatif. En d’autres termes, s’il existe indéniablement un intérêt commercial et une cohérence industrielle à s’aventurer sur ce segment du marché publicitaire comme le fait NBC aux Etats-Unis, cela n’est pas appelé en principe à produire des audiences mirifiques. Dans cet esprit, des émissions comme Ce Soir Ou Jamais ou encore Semaine Critique sur le service public sont surtout des succès d’image et réalisent des audiences confidentielles. Ces deux émissions vont d’ailleurs probablement s’arrêter à la fin de la saison, la Direction de France Télés estimant plus judicieux d’utiliser l’argent de la redevance audiovisuelle autrement, par exemple en permettant à Pierre Sled, copain de propulsé comme par magie à la tête de France 3, de mettre à l’antenne un remake de Midi Première dont le ridicule est tout aussi exorbitant que le coût. L’offre pour les CSP+ est faible, Canal 20 a donc véritablement une carte à jouer. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
C’est sans doute la véritable question qui se pose aujourd’hui. Certes, les synergies qui pourraient s’opérer entre Canal 20 et sa grande sœur sautent aux yeux : les programmes en clair de l’ainée s’adressent à la même cible (parfois à outrance d’ailleurs comme l’over bobo Autre Journal du néanmoins sympathique Victor Robert), ce qui implique à la fois un savoir-faire préexistant et des possibilités intéressantes en termes de vente d’espace pub ; de plus, la nouvelle venue nous est vendue comme une vitrine de l’offre payante du groupe, valorisant ses programmes à l’occasion de diffusions en seconde fenêtre, offrant des compléments de financement à la création originale et, surtout, faisant barrage au téléchargement illégal et à l’arrivée programmée des télés connectées, qui vont ringardiser la télévision traditionnelle en proposant des programmes à la demande, comme des séries ou des films américains, indépendamment des droits de diffusion télé. Il est indéniable que cette nouvelle offre va occasionner de grands bouleversements déjà entraperçus, dans notre manière de consommer les contenus. Et cela a au moins un mérite : Remettre les programmes au centre de la problématique. Car si les canaux de diffusion évoluent et se multiplient, cela n’affaiblit pas l’attractivité des contenus, bien au contraire. Cela ne fait que la segmenter. La façon de consommer la « télévision » change, mais l’appétence pour les programmes ne diminue pas. Et elle peine à être satisfaite par les rediffusions de l’Agence Tous Risques ou par des reportages à la con qui pullulent sur la TNT, si je puis me permettre…
Alors visionnaire, voire salutaire pour la création française le projet Canal 20 qui signifierait au passage l’omnipotence de Canal sur le financement d’une partie de l’industrie culturelle ? L’avenir nous le dira. On peut toutefois se demander si la mise à disposition gratuite, même tardive, de créations originales qui promettent déjà davantage qu’elles n’offrent réellement (y’en a-t-il ici qui soient VRAIMENT accros à une série produite par Canal ?) ne va pas amplifier la dépendance de la télé payante aux événements sportifs, seuls à ne pas être banalisés par nature et malgré l’abondance quantitative de l’offre. On peut se demander aussi si cela vaut la peine pour Canal de s’attirer les foudres des groupes concurrents. On peut se demander enfin si une réforme structurelle de l’exploitation des contenus audiovisuels (incluant par exemple les droits VOD pour faire la nique à Apple) ne serait pas plus efficace que la création éventuelle d’une chaine, qui, bien que séduisante sur le papier, aura forcément des ambitions identitaires limitées pour éviter de faire de l’ombre à la maison mère.
Ce billet est maintenant terminé, bien que vous soyez certainement partis depuis longtemps. Vous pouvez fermer cette fenêtre et reprendre une activité normale, c’est-à-dire trainer sur Facebook tout en envoyant des twwets et en regardant une vidéo sur M6 Replay. Oui, je sais, c’est affreux de vous imaginer en train de regarder les formats de supermarché mijotés par les équipes de Nicolas de Tavernost, mais je n’allais quand même pas vous envoyer regarder les Experts en catch-up, si ?
BOODREAM
Crédit photo Bertrand Méheut © Rémy Cortin - C+
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