26 Juillet 2011
Une mise à jour au lendemain du billet de Boodream : selon le site de Télé 2 semaines, c'est M6 qui diffusera cette adaptation américaine la saison prochaine.
Je ne vais pas tourner autour du pot : The Killing (US) est une grande série, qui m’inspire un enthousiasme substantiel. L’objet de la chronique que vous êtes sur le point de lire sera essentiellement de partager ledit enthousiasme. J’ai donc l’intention de vous expliquer pourquoi ce polar, fidèle adaptation d’une série danoise, est absolument brillant et passionnant. Je m’attarderai ainsi sur sa maitrise narrative remarquable, sur sa grande subtilité, ainsi que sur l’importance centrale de l’ensemble de ses protagonistes, qui se distinguent par leur caractère ambivalent et nuancé. En somme, je vais m’efforcer de vous convaincre que ce thriller politique, qui est une divine surprise à l’heure où les séries feuilletonantes (a fortiori appartenant à ce genre précis) se font plutôt rares à la télévision américaine, est à ne manquer sous aucun prétexte. Vous devez trouver cette entrée en matière en forme de sommaire un peu curieuse, et c’est le cas.
La raison de cette introduction un peu lourde est assez simple : le présent billet ne commencera véritablement qu’à partir du prochain paragraphe. En effet, avant d’entrer dans le vif du sujet j’ai besoin de m’assurer de votre soutien, de votre compassion, de votre affection non rémunérée. J’ai envie que ce papier soit réussi, parce que la série concernée le mérite. Le problème, c’est que pour y parvenir il va falloir que je prenne énormément sur moi, parce toutes les conditions sont réunies pour que je me laisse aller à une multitude de digressions superflues : d’abord, The Killing (US) est diffusée outre-Atlantique sur la chaîne AMC, qui met à l’antenne non seulement Breaking Bad (LE drama qui alterne avec une virtuosité déroutante et systématique les épisodes excellents avec les livraisons dont la lenteur gratuite ferait passer Derrick pour un psychopathe surexcité se finissant à l’EPO) mais aussi et surtout la redoutable Mad Men, (l’une des séries les plus surestimées de tous les temps, qui gagnerait beaucoup à rendre son propos- potentiellement passionnant- davantage accessible, bien que cela implique de renoncer aux plans fixes de 22 minutes sur des chaises, composantes apparemment essentielles de la vie de Don Draper, une espèce de connard entouré de filles sublimes –oui, je suis quelqu’un de très aigri- qui ressemble davantage à une publicité Hugo Boss de 2011 qu’à un publicitaire des années 60). En outre, je n’aime pas, sur le principe, juger un remake sans avoir vu l’original au préalable : je n’ai pas d’excuse, la version danoise a été diffusée en France. Sur TPS Star. Bon d’accord, j’ai une excuse. Le dernier truc qui me chiffonne, c’est qu’avant de rédiger ma critique, il faut que je renonce définitivement à la titrer « The Killing : Matez Danois ». Le deuil va être difficile. Bon, vu que vous m’avez tous fait un câlin pour m’encourager, cette introduction scandaleusement longue touche maintenant à sa fin (cette phrase n’a absolument aucun caractère sexuel). Il est grand temps de vous inciter à savourer la première saison, en 13 épisodes, de ce qui est à mon avis l’une des meilleures séries du moment.
Nous sommes à Seattle. La campagne électorale municipale bat son plein. Le Conseiller Darren Richmond, un idéaliste que l’on devine Démocrate, est déterminé à déloger de son poste le peu scrupuleux maire sortant Lesley Adams. Au même moment, l’inspecteur Sarah Linden sur le point de partir s’installer en Californie avec son fils et son futur époux, retrouve le cadavre de Rosie Larsen, une adolescente portée disparue. Linden pense transmettre l’enquête sur l’effroyable assassinat de cette dernière, morte par noyade à l’intérieur d’une voiture, à son successeur Stephen Holder (fraîchement transféré de la brigade des mœurs). Seulement, leur supérieur hiérarchique en décide autrement. Il demande à la jeune femme de rester quelques jours de plus, compte tenu du caractère sensible du dossier : il se trouve en effet que la voiture dans laquelle la victime fut trouvée appartenait à l’équipe de campagne du candidat Richmond. Linden et Holder collaborent donc sur l’affaire, par la force des choses. La trame de la saison est donc bien évidemment constituée de l’évolution de cette enquête (ponctuée de rebondissements, de fausses pistes et de twists), mais aussi et parallèlement du déroulement de la campagne de Richmond, fortement impactée par ce fait divers. Ce n’est pas tout : nous suivons également la famille de la victime, qui doit affronter l’horreur de la situation et s’efforcer d’y survivre. Trois intrigues donc. Qui s entremêlent parfois. Qui gagnent toutes en épaisseur et en densité au fur et à mesure que la narration avance. Chaque épisode, qui correspond grosso modo a une journée d’enquête (ce qui instaure une sorte de « temps réel » évoquant un peu 24 heures chrono, j’y reviendrai) , est pour ainsi dire la pièce d’un triple puzzle, qui forme une seule et même entité globale : il s’agit de suivre la reconstitution des faits via l’enquête ; de regarder une famille brisée par le deuil essayer de recoller les morceaux ; d’observer comment le Conseiller Richmond et son équipe tentent de se remettre en ordre de bataille.
Ce triple enjeu est alimenté par la montée en régime progressive de l’intrigue qui engendre un suspens de plus en plus immersif, au rythme des rebondissements, des réponses apportées, et des nouvelles questions posées. Toutefois, ne vous y trompez pas : si la série prend son temps, il n’est nullement question ici de remplissage. Chaque personnage traité, des plus centraux au plus secondaires, chaque situation exposée, même les plus apparemment anecdotiques se révèlent d’une manière ou d’une autre, directement ou pas, explicitement ou non, essentielles à la compréhension finale de l’histoire. En d’autre termes, et quasiment sans exagérer : chaque détail compte. Cette cohérence d’ensemble magistrale est certainement la qualité la plus impressionnante de The Killing (US). Quand tant d’autres séries, la plupart du temps acclamées par la critique, tâtonnent visiblement avant de souvent se décanter en fin de saison, l’impression de maîtrise qui se dégage de l’écriture de la série, qui se paie le luxe de choisir de ralentir ponctuellement pour mieux mettre en relief son message final, est absolument bluffant. Si le rythme peut parfois sembler un peu laborieux, on comprend petit à petit, et de mieux en mieux, que les supposées longueurs sont en réalité autant d’éléments nous donnant les outils nécessaires pour appréhender de manière complète des événements complexes.
Je parle d’événements complexes. Il serait peut-être plus juste d’évoquer de protagonistes complexes, tant ce sont ces derniers qui forment le cœur de la démarche narrative. A la prépondérance initiale des faits (c’est-à-dire le « comment ? », la réalité concrète) succède en effet rapidement l’importance de la psychologie des individus (c’est-à-dire le « pourquoi ? », les motivations de chacun). Cela donne une galerie portraits paradoxalement à la fois partielle et remarquablement étayée : des ébauches abouties, si l’on peut dire. D’où les nuances ressortent singulièrement. Et au sein desquelles rien n’est simple et tout est grisâtre, à l’image de Seattle, dont l’atmosphère glauque cadre parfaitement avec le propos véhiculé par la série. Au passage on notera la qualité du travail effectué sur la photographie qui permet de retranscrire un Seattle situé à approximativement 8 milliards d’années de celui proposé par un Grey’s Anatomy - dont le seul élément glauque, terrifiant même, s’avère être le maquillage d’Ellen Pompeo. Ce background gris est semble-t-il le fil conducteur du récit, qui balance sans cesse entre, d’une part, l’espérance d’une éclaircie (un nouveau départ littéralement ensoleillé pour Linden, la possibilité d’une lumière au bout de ce tunnel qu’est le deuil pour les Larsen, l’éclat de la victoire pour laquelle se bat Richmond) et, d’autre part, l’inéluctabilité de l’obscurité. Cette ambivalence, cette profondeur, tranchent avec le manichéisme d’un 24, dont The Killing (US) a la science des renversements en y ajoutant son réalisme, et avec la superficialité d’un Damages dont elle a le machiavélisme froid en y ajoutant sa justesse. Tout cela m’amène logiquement à la performance des acteurs, qui se mettent au service de l’écriture. Aucun ne crève véritablement l’écran, et c’est bien normal, puisqu’ils sont avant tout totalement vraisemblables dans leur rôle, ce qui, à défaut d’être spectaculaire (c’est une série d’origine scandinave on vous dit !) est pour le moins fort appréciable. On notera toutefois les affinités intéressantes qui s’établissent au fur et à mesure entre Linden et Holder ou encore les interventions hautes en couleur de l’attachant directeur de campagne de Richmond, qui illustre la passionnante plongée politique qu’offre la série.
Pour conclure, je vous vous dirai que non bien sûr, The Killing (US) n’est pas exempte de tout reproche. Elle a certainement des défauts sur lesquels je me serais probablement attardé si j’étais moins sous le charme de la découverte. De plus, il faut admettre que la deuxième saison est souvent révélatrice du véritable potentiel d’une production : sans vouloir m’acharner sur Damages, il arrive relativement souvent que les promesses d’une première saison convaincante ne soient pas tenues par la suite. On suivra donc intérêt le retour (confirmé) de la série l’an prochain, même si un effondrement qualitatif total paraît tout de même peu vraisemblable, à moins bien sûr que la direction artistique du show ne soit confiée à Pierre Sled. Il est en tout cas assez amusant de constater que ce qui est peut-être la meilleure nouveauté cette année en matière de fiction étasunienne est un remake : cela en dit long sur les difficultés qu’éprouve la télévision à créer des histoires ex nihilo. Et aussi sur la talent dont savent faire preuve les Anglo-Saxons lorsqu’il s’agit de se réapproprier des créations existantes.
Boodream.
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