La saison 2007/2008 restera définitivement dans les annales. Non pas à cause des excuses de Tim Kring quand à sa saison ratée de Heroes, ni à cause du remake
de la femme Bionique qui ferait presque passer celui de Flash Gordon pour une réussite (j’ai bien dit presque…), et encore moins à cause de l’annulation de l’horrible Dead Zone qui reste
finalement le pire cauchemar de Stephen King.
Non. La saison 2007/2008 restera définitivement dans les annales à cause de la fameuse grève des scénaristes qui paralysa le paysage audiovisuel américain pendant trois longs mois. Je ne
reparlerais évidemment pas ici de cette grève que nous avons largement évoquée mais plutôt d’interrogations posées par cette dernière. Elles se concentrent autour d’un point simple :
aurons-nous des séries encore longtemp
Et oui, si nos séries fétiches seront de retour pour quelques inédits dans quelques jours, mon interrogation se porte plutôt sur le moyen, voire long terme. En effet, la donne a changé. Il suffit
pour cela de comparer le score d’une même série, entre aujourd’hui et il y a 10 ans. En 1994, un inédit d’Urgences rassemblait en moyenne 30 millions de téléspectateurs. Seul le tiers
continue à suivre aujourd’hui la série. Même phénomène pour une série comme Law & Order. Un phénomène de lassitude me direz-vous ? Oui, mais pas seulement. Les séries les plus regardées
des années 70, 80, et dans une moindre mesure, des années 90 rassemblaient sans difficulté les 30, 40 millions de téléspectateurs. Un inédit des Experts, série la plus regardée des
Etats-Unis à l’heure actuelle, ne dépasse plus les 20 millions de téléspectateurs. Pourquoi?
Les raisons de ce détournement de la petite lucarne sont multiples et variées. Mais la principale explication que l’on peut évoquer est l’émergence, voire l’explosion, des nouveaux médias et des
nouvelles manières de consommer une série. Que ce soit sur internet (de façon légale ou non), en DVD ou encore par l’intermédiaire du fameux Tivo (sorte d’enregistreur DVD qui a un succès
fou aux USA), il apparait presque has-been de rester chez soi le dimanche soir pour regarder le dernier inédit des Desperate Housewives.
Seulement voilà, cette nouvelle manière de consommer les séries où les téléspectateurs créent leur propre programme, leurs propres horaires, crée de multiples problèmes. En effet, les
bénéficiaires du gâteau géant constituant les revenus publicitaires ne sont plus les mêmes et surtout, ils n’ont plus la même importance.
Et pour comprendre cela, il faut bien savoir que le système américain est radicalement différent du système français. En France, les fictions télévisées sont produites en étroite collaboration
avec les chaines télévisées. Ainsi, Julie Lescaut (euh... excusez-moi Julie à Paris !) est une production TF1 et PJ est une production France 2. Les chaines françaises sont très présentes dans le
processus de production français, beaucoup plus qu’aux Etats-Unis où elles définissent les grands axes de la saison en coordination avec producteurs et scénaristes et apportent de multiples
notes, mais tout en laissant la créativité aux scénaristes. En France, Joséphine ne peut faire un claquement de doigt sans l’aval du directeur de la programmation et de toute la clique de
TF1 !
Qui plus est, on n'imagine pas TF1 produire une série pour M6 ! C'est pourtant ce qu'il se passe aux Etats-Unis. Prenons l'exemple de la série 'FBI: Portés Disparus". Bien que diffusée sur CBS,
la série est produite par la Warner Bros, anciennement affiliée à la chaine WB, aujourd'hui devenu la CW. Si ce système parait inconcevable en France, il est pourtant issu d'une logique imparable
aux Etats-Unis. Pour le comprendre, il faut remonter à l'origine de la création télévisuelle américaine.
En effet, à l'opposé du système français où les chaines ont créé leurs propres boites de production, aux Etats-Unis ce sont les studios qui ont crée leurs chaines de télévision. Méprisant au
début le petit écran pour son coté ‘populace’, les studios se sont finalement rendus compte de la manne financière que cela pouvait représenter. Ainsi, des majors du cinéma tels Warner Bros,
Disney ou 20th Century Fox ont lancés leur propre chaine de télévision. Mais ces chaines ne sont qu’un département, qu’une filiale du grand studio. La production de séries télévisées est
donc une entité totalement différente des networks, même si elles appartiennent au même major. Cela explique donc le fait que les studios produisent des séries pour des chaines concurrentes.
Toujours est-il que cela provoque une énorme guerre de droits et de billets verts.
Prenons l'exemple d'une série qui serait produite par la Warner Bros et diffusée sur ABC. Il y a 20 ans, seul ABC aurait tiré les revenus publicitaires de cette série puisque les téléspectateurs
n'avaient qu'un seul moyen de la regarder: la télévision. Bien évidemment, une partie est reversée au producteur mais c’est ABC qui garde le contrôle et qui s’octroie la plus grande partie des
bénéfices.
Or, aujourd'hui, la Warner Bros, détentrice de la série, peut décider de la mettre sur internet, en téléchargement légal, et en tirer ainsi des revenus
supplémentaires. De ce fait, pour un dollar gagné par ABC il y a 10 ans, cela pourrait représenter 50 centimes pour ABC et 50 centimes pour la Warner Bros dans les dix prochaines années. En
effet, à l’heure actuelle, les accords concernant diffusion online sont très hésitants. Cela dépend des chaines, des studios, des accords. Généralement, les chaines ont les droits la première
année d’exploitation, puis le studio récupère les bénéfices les années suivantes. Mais ces accords sont largement amenés à bouger.
Dans ces conditions, sera-t-il toujours rentable pour les networks de diffuser ces séries face à un public de moins en moins présent et des coûts de production qui flambent ? Ne vaudra-t-il pas
mieux produire et diffuser des jeux, télé-réalité et autres émissions info en interne ? C'est toute l'interrogation. Le problème est même aggravé du fait que ces individus se détournant de la
sacrosainte télévision constituent la cible fétiche des annonceurs américains, à savoir les 18-49 ans. De ce fait, la moyenne d’âge des téléspectateurs américains ne fait qu’augmenter, d’année en
année, au grand dam des compagnies.
Les fans de séries, et moi le premier, oublient souvent de prendre en compte la plus importante inconnue de l'équation. En effet, il ne faut pas oublier que les networks US ne sont pas une
galerie d'art où l'on pourrait laisser un tableau ayant moins de succès que d'autres, afin de ravir les quelques amateurs. La définition même d'une chaine commerciale est bien de faire du profit,
quelque soit le moyen d'y parvenir. Il ne faut donc pas se méprendre: si demain, les chaines trouvaient un moyen plus efficace de faire du profit que des séries à long terme, on pourra dire adieu
à Jack Bauer et compagnie. De ce fait, et même si je suis moi-même un grand fan, comment reprocher à NBC d'annuler Friday Night Lights ? Soyons réaliste une seconde, le show fait perdre de
l'argent, semaine après semaine, au network. Que feriez-vous à la place de Ben Silverman ?
Ce genre d'annulation est la victime première des nouveaux médias et de la baisse significative des audiences américaines. Le résonnement est simple: il y a 20 ans, un seul succès d'une grande
chaine US, avec 40 millions de téléspectateurs, pouvait contribuer à combler les recettes d'une dizaine d'autres shows. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, à part quelques exceptions. Alors comment
garder une série comme Friday Night Lights ? Aucune série de NBC ne dégage suffisamment de profit pour permettre une telle compensation. Une fois les profits des dirigeants mis de côté, bien sur,
ne vous inquiétez pas pour eux.
Il y a certes des exceptions: une série comme 30 Rock sur NBC ne dégage que peu, voire pas, de profit. Mais la pluie de trophées et l'image royale dont bénéficie la série sont une manne pour la
chaine. La série n'est pas un investissement financier mais un investissement en termes d'image, d'autant plus profitable. Mais cela reste une exception. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour
lesquelles les producteurs n'ont pas voulu lâcher prise pendant la grève: les DVD leur permettent de combler le manque financier généré par la diffusion seule. C’est bien pour cela que le
syndicat des producteurs accusaient les scénaristes de mettre en péril la création télévisuelle. Ainsi, une série comme Oz, tout juste rentable lors de sa diffusion sur HBO, s'est arrachée à des
centaines de milliers d'exemplaires de DVD et s’est donc largement rentabilisée par la suite. Une poule aux oeufs d'or pour HBO, une chimère pour les scénaristes.
Ainsi, vers quel genre de séries nous orientons-nous à l'avenir ? Et, face à l'inflation des couts, est-il toujours rentable de continuer à produire des séries comme nous le faisons à l'heure
actuelle ? Des signes avant-coureurs annoncent une profonde mutation. Trop chers à produire et moins rentables que les tele novela, les soap opera sont ainsi un genre en voie de disparition
Outre-Atlantique. Pour la première fois en 40 ans, l’annulation des derniers soap à savoir Passions et Port Charles, n’ont pas été remplacés par d’autres soap. Tout comme les pilotes qui, trop
chers à produire, pourraient bien disparaitre, comme l'a suggéré Ben Silverman, patron de NBC, en janvier dernier. Des solutions intermédiaires sont donc trouvées comme la commande directe de 13
épisodes (Robinson Crusoé sur NBC en septembre prochain) ou des mini-pilotes de 14 minutes (Can Openers sur CBS, la nouvelle série des producteurs de Rescue Me).
Malgré tout, face aux difficultés actuelles du monde des séries, cessons une bonne fois pour toutes de crier à un avènement de la télé réalité, en remplacement des séries. Soyons clair:
l'apogée de la télé-réalité est derrière nous. De plus en plus chères à produire (à l'origine de la reconnaissance du statut des 'acteurs' candidats et de l'existence de scénaristes), des
audiences en berne (3 millions de téléspectateurs en moyenne pour le spin-off d’American Idol sur la recherche d’un groupe contre 30 pour la série mère !), et de moins en moins
exportables à l'étranger, elles intéressent moins les diffuseurs qui ne peuvent en tirer qu'un revenu direct. Il reste encore impossible de savoir précisément quel sera le nouveau format miracle
de demain.
La solution pourrait toutefois être très simple : puisque il y a plus de bénéficiaires voulant profiter du gâteau publicitaire, pourquoi ne pas simplement agrandir ce gâteau ? Et c’est
bel et bien la solution que de plus en plus en network semblent étudier. CBS, par exemple, va pour la première fois produire une série en partenariat avec une chaine canadienne afin de diminuer
les couts. Le système de syndication pourrait bien, lui aussi, être reformé. En effet, au jour d’aujourd’hui, pour qu’une série soit rediffusée en syndication (autrement dit, sur un réseau de
chaines locales), elle doit bénéficier d’au moins 100 épisodes, autrement dit 4 à 5 saisons. Or, Boston Legal, bénéficiant de 90 épisodes seulement, sera rediffusée en syndication l’année
prochaine, même si son renouvellement n’est pas acquis. Il faut bien dire que ces rediffusions représentent des revenus colossaux pour les séries. Ainsi, lors d’un récent Saturday Light Live, à
la question ‘Que voudriez-vous que Dieu vous dise à votre arrivée au Paradis’, Alec Baldwin a répondu, non sans humour, ‘que 30 rock soit diffusé en syndication.
Nous pouvons donc dire que la grève a ouvert la boite de Pandore du futur de la télévision. De quoi sera-t-il fait ? C’est la question à un million ! Si la diffusion probable de Friday
Night Lights sur plusieurs networks laisse présager d’une télévision moins dépensière, il est impossible de le certifier à l’heure actuelle. Alors, quels formats ? Suicide or no
Suicide ? Etes-vous plus intelligent qu’un attardé mental ? Ou, comme l’annonçait les Guignols de l’info il y a quelques années, Viol Island ? Après tout, qui aurait pu
prévoir, il y a 30 ans, des formats adaptés du célèbre Big Brother de Cornwell ? Séries … Ton Univers impitoyable !
Cole