Séries : quand la fiction rejoint le gouvernement...






Chronique 4, saison 3 de "Séries...ton univers impitoyable" : Quand la fiction rejoint le gouvernement...










A en croire notre cher ami John Mc Cain, avec l’élection de Barack Obama comme président des Etats-Unis le 4 novembre dernier, attendez-vous à voir débarquer de nombreuses séries sur l’Antéchrist très prochainement ! Et oui, c’est la question que nous allons nous poser aujourd’hui : les présidents américains, l’idéologie des gouvernements en place ont-ils une influence sur les séries télévisées ? Si la réponse semble difficile à apporter tant les courants télévisuels sont en perpétuelle évolution, elle mérite d’être posée. En effet, les liens tendancieux entre médias et politiciens sont souvent projetés sur le devant de la scène mais on parle finalement très peu des liens entre fiction et politique. C’est donc ce que nous allons faire aujourd’hui.




Pour apporter un premier élément de réponse, je dirais que l’influence des présidents américains sur les séries télévisées s’est opérée très distinctement selon le président en question et les changements qu’il a opéré sur la société. Et de ce fait, le président qui reste certainement comme le plus symptomatique de son époque est clairement Ronald Reagan. En bouleversant drastiquement la politique et l’image de son pays pour y mettre en place un capitalisme suprême et décomplexé, et populaire de surcroit, il va également contribuer à balayer l’image vieillotte d’un ‘american dream’ désuet qui régnait de maître sur les séries télévisées.




Fini les Happy Days et autres Petite maison dans la prairie, démarrées peu avant sous l’ère Carter, l’Amérique a pris un coup de neuf et le petit écran va devoir s’adapter. Pour autant, ce changement n’est-il donc pas plutôt le fruit d’une simple évolution de la société ? Pas seulement … Il ne faut pas oublier que Reagan est lui-même un ancien acteur ! Ah… Les Etats-Unis ! Pour l’anecdote, c’est même à la suite d’une série télévisée, General Electric Theater, anthologie puritaine, que Reagan devint une figure républicaine alors qu’il était démocrate à l’origine. Pas bête, il faisait lui-même le tour des Etats-Unis pour promouvoir son show et glisser en même temps un petit message politique. Quelques années après, il est élu président. Et si la relation entre fiction et politique s’opérait dans les deux sens ?




Non, n’allez pas me faire dire que les Américains sont des bœufs sans cervelles qui croient tout ce que l’on leur montre à la télévision. D’ailleurs le fait que McCain soit repassé devant Obama dans les sondages après que ce dernier l’a comparé à Paris Hilton n’accréditerait pas du tout cette thèse, non, non ! Mais pour revenir à Reagan, ce dernier est un véritable enfant de la télé. Glandeur de première, il laisse la politique aux politiciens et lui passe 3 heures par jour devant la petite lucarne. Et il y a un show dont il va se délecter et qui va illustrer à la perfection son image, son mandat et sa politique : Dallas. Et pour cela, on peut vraiment parler d’influence du président américain, encore plus accentué par un autre show qui viendra illustrer la politique Reaganienne à son excès le plus total : Dynasty. Opulence d’argent, richesse exacerbée, écart entre les gagnants et les perdants, les riches et les pauvres, Reagan dans tous ses états ! Des Golden Girls aux Colbys, en passant par Côte Ouest, les familles aisées envahissent la télévision sans complexe. Il est difficile d’imaginer que de tels shows auraient pu exister 10 ans avant.




Plus qu’une illustration, Dynasty mais surtout Dallas, vont incarner le modèle américain des années 80 dans le monde entier. Je vous en parlais tout récemment. Dallas a tout bonnement contribué à renverser le dictateur Nicolae Ceausescu en montrant aux Roumains que leur misère n’était pas une fatalité, contrairement à ce que la propagande s’affolait à leur faire croire. Rendez-vous compte d’une telle emprise ! Larry Hagman fut même considéré comme un héros dans ce pays où des milliers de gens venaient l’accueillir dans les rues, et un parc d’attraction fut construit en l’honneur du personnage ‘qui a sauvé leur pays’. Hasard ou coïncidence ? La fin de l’ère Reagan marquera aussi le déclin successif de l’ensemble de ces séries ….





 




Mais comme je le disais en préambule, chaque président marqua la télévision de façon très distincte. Ainsi, on ne s’éternisera pas sur Bush père qui signifia surtout une transition entre l’ère Reagan et l’ère Clinton. Ere Clinton, parlons en. A l’opposé de Reagan qui influençait une véritable influence sur les séries télé, des shows qui incarnaient son idéologie, ce sont plutôt les espoirs et les mutations de la société opérés par Clinton qui vont ouvrir la voie à un flux de séries drôles, osées et revendicatrices. Clinton incarne en effet une certaine légèreté, une certaine insouciance après des années de dur labeur. De ce fait, les américains ont envie de rire et de se détendre et les sitcoms vont peu à peu envahir le petit écran jusqu’à devenir, et de loin, le genre dominant. Mais ce n’est pas tout. Les années 90 vont également incarner sous cette influence une vraie libération de la femme, celle qui se place au même échelon que l’homme.




Fini les bimbos peroxydées à la Drôle de Dames, les femmes des 90’s s’assument totalement, elles ont de l’ambition, du pouvoir mais aussi leurs failles et leurs défauts. Ainsi les rôles de femmes indépendantes, dans les sitcoms et comédies pour la plupart, vont se multiplier : Friends, Susan, Une fille à Scandales, Les Dessous de Veronica mais aussi Ally McBeal, Melrose Place et bien evidemment Sex & The City. Paradoxalement, face à l’apogée de ces séries sans complexes et sans concessions, un conservatisme réactionnaire, encore plus dur que sous l’ère Reagan, va peu à peu prendre forme. En effet, la modernité aspirée par le gouvernement Clinton n’est pas au gout de tous et certains puissants lobbys vont tout faire pour retrouver un peu de bonnes vieilles valeurs dans cette Amérique déchue.




Cette idéologie va notamment être marquée en 1995 par la création de la très puissante Parent Television Council, dont je vous parle régulièrement, qui donne son avis impartial sur tous les programmes malsains et invite les annonceurs à ne pas investir sur tel ou tel programme ‘dégradant’. Par invite, j’entends bien sûr mettre une forte pression sur les annonceurs pour qu’ils se désengagent de ce programme, et cela fonctionne plus ou moins. L’association trouvera d’ailleurs son programme phare avec l’arrivée de 7 à la maison un an plus tard sous la production de Spelling. Un comble pour celui qu’ils considéraient encore quelques mois avant comme la bête noire d’Hollywood. Pépé Spelling avoua lui-même avoir eu un éclair de vertu avec ce show, largement meilleur que Melrose Place selon ses propres aveux. Ne vous étouffez pas. Toujours est-il que ce show, accompagné de quelques autres comme Providence avec l’insupportable Melina Kanakaredes, semblent venus d’un autre temps et remettent en question tout le chemin parcouru en matière de séries.




Si, fort heureusement, ils restent minoritaires, ils n’en restent pas moins des gros succès et le public en redemande. Conservateurs les amerloques ? Toujours est-il que cette période coïncide pile poil avec le basculement républicain et l’élection de George Bush. N’allez pas me faire ce que je n’ai pas dit, Brenda Hampton est coupable de beaucoup de choses mais pas de l’élection de notre ami George. Mais il reste malgré tout intéressant de constater une véritable corrélation entre les deux points.




La gouvernance de George W. Bush marque elle aussi une nouvelle ère en matière de séries, peut être autant voire encore plus prononcée que celle de Reagan. Deux tendances très symptomatiques la caractérisent. D’une part, on a évidemment les attentats du 11 septembre qui, plus que n’importe quel événement dans l’histoire des Etats-Unis, marquèrent durablement le paysage audiovisuel américain. La peur du terrorisme et la guerre en Irak vont petit à petit envahir le quotidien des Américains et vont se ressentir sur la fiction, à court et long terme. A court terme, ce sont les séries phares de l’ère Clinton qui disparaissent les unes après les autres. L’heure est grave, l’Amérique est traumatisée et n’a plus envie de rire. Ainsi, à l’heure où Friends, Seinfeld, Ally McBeal ainsi que les complots gouvernementaux de X Files disparaissent, des séries policières plus serieuses, réalistes, voire nationalistes comme JAG, Les Experts : Manhattan ou NCIS connaissent une envolée sans précédent. A long terme, ce sont des anti héros de l’apres 11 septembre, inimaginables sous l’ère Clinton, qui vont peu à peu envahir le petit écran et rassurer notre paranoïa sécuritaire de plus en plus exacerbée. Jack Bauer torture, Vic McKay tue et ment, Tommy Gavin boit. On devrait les détester mais pourtant on les adore et on les soutient. Pourquoi ? Car ils font cela pour notre sécurité à tous. Oui, mais tout cela au prix d’humiliations et de vies humaines. Quand bien même, au fond de nous, on leur pardonne et pire, on en redemande. N’y aurait-il pas comme un malaise symptomatique de l’ère Bush ?





 




Mais il y a un autre genre de séries qui va faire son apparition et qui va être synonyme du climat Bush, un climat de plus en plus tendu et un gouvernement de plus en plus vivement critiqué. Les séries vont alors oser apporter des éclaircissements, des avis tranchés et des critiques sur les événements qui les entourent. Imaginez une série dans les années 80 dénonçant les malversations de la politique Reagan / Thatcher. Impensable ! Des travers de la politique sécuritaire Bushienne avec Boston Legal à l’ouragan Katrina avec K-Ville en passant par la chute de Saddam Hussein avec House of Saddam, les horreurs de la guerre en Irak avec Generation Kill et le malaise du 11 septembre avec Rescue Me, tous les sujets brûlants sont passés au crible presque en temps réel.




Alors de quoi sera faite la télévision Obama ? Une télévision avec plus de diversité culturelle et encore plus réactive sur l’actualité semble se dessiner. Si le lien entre politique et télévision ne peut être clairement établit, celui entre la société de façon plus générale et les fictions ne fait aucun doute. En pleine période de crise financière, les riches opulents ne semblent ainsi plus être les bienvenus à la télévision avec les annulations en catimini de Lipstick Jungle, Privileged (cela ne va pas tarder) ou encore Dirty Sexy Money. Alors, Obama soulèvera-t-il également de nouveaux espoirs en matière de fiction télévisée ? L’avenir nous le dira.




COLE.




Précédentes chroniques 2009 :


Séries, ton univers impitoyable : Le coeur a ses raisons (03.03)


Séries, ton univers impitoyable : "Quand je dirais ça à ma femme..."


Séries, ton univers impitoyable. Episode 03.01 : Pilot story.




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P
Incroyable !
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B
"Vic Mackey tue". Pas vraiment, et c'est vrai que c'est étonnant mais dnas tout ela série, la seule personne qu'il a vraiment tué de ses propres mains est vous-savez-qui (pour ne pas spoiler), dans le 1.01. Sinon, il a tiré quelques balles mais jamais de mortelles à part celle du pilote donc, il me semble.Et Jack Bauer en personne n'a torturé qu'à un nombre de fois qui se compte sur les doigts de la main, en général c'est plutôt des interrogatoires musclés (même si la balle dans le genou, le coup du tazer ou l'appui du flingue sur une blessure encore fraiche, ça, ça peut être considéré comme de la torture).Très bon article sinon !
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N
C'est un détail mais... Happy Days et La petite maison dans la prairie n'ont pas démarré sous l'ère du démocrate Carter mais sous celle des républicains Nixon et Ford au cours de l'année 1974. ;-)
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J
Plus de noirs à la télé, et en personnage principal avec Obama? Possible. J'ai d'ailleurs toujours été amusé de voir comment est représenté le FBI dans les series, avec un noir et un blanc
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B
Pour en rajouter une couche sur le parallèle Obama/West Wing, taper le sur Google, et vous verrez tous les points commun.Par exemple il y a 4 ans, Obama aurait inspiré le personnage de Matt Santos.Et c'est pas fini à priori, Rahm Emanuel le nouveau secrétaire général d'Obama, aurait inspiré le personnage de Josh Liman (The West Wing) ??? des années avant l'élection.Quand on sait que Rahm Emmanuel travaillait dans l'équipe de Clinton et qu'aujourd'hui, il est le secrétaire général.Le parallèle avec la série est saisissant sachant que Liman après avoir travaillé dans l'équipe de Bartlet, devient secrétaire général de Santos, 1er président US "non blanc".
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B
En septembre 2008, le New York Times avait sorti une scène imaginaire, écrite par Aaron Sorkin (le créateur de la série The West Wing) pour le fun, décrivant une rencontre Barack Obama/Jed Bartlet (Martin Cheen et donc POTHUS - President Of The US dans la série) … c’est là : http://www.nytimes.com/2008/09/21/opinion/21dowd-sorkin.html?_r=3&oref=slogin
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L
Clap clap tout simplement, pour ton travail. Extrêmement intéressant. Et il est vrai qu'on a senti on ne peut plus nettement la différence entre les années Clinton et Bush niveau séries / sitcoms.
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F
Bravo pour ce billet -qui doit demander pas mal de temps, en passant-. Toujours très bien détaillé, avec des anecdotes sympa à lire.
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F
Un régal de te lire un lundi sur deux. J'espère que tu nous feras un nouveau classement des saisons l'été prochain.
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T
J'adore vraiment et ne manque sous aucun prétexte les articles de Cole que je trouve détaillé, instructif.L'année dernière j'ai découvert des séries qui sans son éclairage ne m'auraient pas spécialement interessé.Merci Cole surtout continuez vos articles, chapeau.
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P
Effectivement, oubli de The West Wing. Très bon sinon !
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T
Excellent article qui nous montre bien que la fiction n'est pas complétement détachée de la réalité. Seul absent, The west wing qui a abordé la politique en long et en large et qui a passionné les Américains. D'ailleurs il n'était pas seulement un personnage de fiction, le président Bartlett aurait été élu facilement face à George Bush selon certains sondages.Concernant Obama, je ne sais pas s'il influencera la fiction. Mais si on y regarde bien, il y a très peu de personnages de couleur au premier plan dans les séries et l'élection d'Obama permettra peut être d'avoir à l'avenir un Jack Bauer ou un docteur House noir. Je rêve même d'un James Bond noir.
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V
c'est réel pour la Roumanie et Dallas ??
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@
Excellent travail ! J'admire la diversité de tes articles.
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