Quelle colle fait donc tenir ce monde ?

Peut-on décemment parler, là, maintenant, de « programmes de flux » et d’audiences, de Gérald Dahan, des pions qui s’avancent dans le landernau politico-médiatique en vue de 2007 ou encore des histoires de fesses de pseudos célébrités remplissant les tiroirs-caisses de torchons en tous genres ?

Je ne pense pas. Mais le pixel insignifiant que je suis à l’échelle de la photo de notre monde ne changera rien. Ce n’est pas moi qui vais faire remarquer que chaque jour, chaque année, une multitude de « Katrina » s’abattent sur le petit caillou où nous demeurons, et que pourtant, la grande majorité de ces catastrophes humaines sont boudées par la presse.

Pas assez spectaculaire de parler de précarité sociale (sauf quand un incendie la met en lumière) ici et ailleurs, de parler de Droits de l’Homme, de pluralisme, des drames humains qu’engendre la Guerre  d’élections honteuses, de famine, d’épidémies évitables dues aux carences sanitaires, pendant que les nantis occidentaux pressent le citron avec la complicité de petits fourbes locaux. Vous reprendrez bien un peu de Danette non ? Enfin, modérons-nous sur la Danette, faut payer l’essence dont la hausse nous laisse dans un désarroi Total. L’expression selon laquelle « ce qu’on ne peut pas changer, il faut au moins le décrire » devrait être sacralisée. Car honnêtement, vous comme moi, on est peut-être attristé par ce qui se passe, mais notre narcissisme commun et intrinsèque nous empêche d’aller plus loin.

 C’est là que l’on  comprend à quel point le journalisme a une utilité prépondérante dans la société. Le journaliste (le vrai, celui d’investigation et de reportage) est salutaire puisqu’il transcende l’individualisme (le nôtre comme le sien) en le contournant. Toutefois, la plupart du temps, cet outil n’est utilisé que lorsque le contenant du fléau à traiter ressemble à un blockbuster hollywoodien…

 Nous savons bien que des impératifs commerciaux existent au sein des rédactions et des éditeurs. Il est également évident qu’une presse légère à sa place. Mais ce qui est assez effrayant, c’est le mélange de plus en plus systématique des paillettes et de l’info, du futile et de l’utile. Le civisme est une valeur marketing –et donc sociétale- très en vogue et très vendeuse. Le problème c’est que du coup les générations actuelles en restent à un civisme partiel, conventionnel. Dans le même temps, la connerie est toujours plus sacralisée et normalisée, voire encouragée. Nos attitudes et nos émotions sont donc, quoiqu’il arrive –et c’est vrai pour tout le monde, qu’on le veuille ou non- déterminées par les normes du format établi.

 Voilà pourquoi les meubles à sauver méritent toute notre attention. Nous restons bancals, contradictoires et nombrilistes, mais tant que l’art et la curiosité motivant l’Investigation continuent à nous faire penser et réfléchir, la machine ne s’arrête pas complètement.

Et cela s’applique de manière très générale. L’introspection et la réflexion sociale, les visions et les sentiments, le léger et le grave, le rire, les larmes ou l’épouvante, le tragi-comique ou le burlesque pessimiste, le tout-loufoque ou le tout-torturé…..Bref la communication qui définie l’art et la culture, voilà ce qui mérite d’être sauvé. Le cinéma, médiocre ou brillant, formaté ou déroutant, commercial ou artisanal, comme les autres formes d’art : c’est la seule chose qui reste utopiste dans ce monde. La culture est la colle qui fait tenir le mécanisme, la soudure qui colmate les brèches, l’évasion de notre prison dorée. Nous sommes exécrables de toute façon. Alors autant perdre le moins de temps possible. La télé est un espace vide à remplir. On crée une offre pour satisfaire une demande. Le cinéma, même le plus marchand doit créer, stimuler une demande. Parce qu’on se déplace et qu’on paie. A défaut de mourir utile, évitons de mourir idiot…ou meurtrier.

Boodream.